mercredi 2 novembre 2011

L' autorité...à la Mamou....

Charlotte, Camille, et moi, et quelquefois notre Nadja, un des grands plaisirs que nous partageons, c’est le câlin du soir. Souvent on lit des livres qu’on « feuilletonne » Mais parfois, pas de lecture : « On va parler… » disent les deux filles …Blagues, histoires de leur école, (leurs spécialités) histoires de mon enfance ou de ma jeunesse (ma spécialité !) . L’autre soir, comme je leur disais : « Mais je n’en ai plus des histoires de quand j’allais à l’école », elles eurent une réponse sans réplique: "Mais des histoires de quand tu étais prof, tu en as bien ?"

J’en avais en effet, et je vais vous en raconter une…

 J’étais jeune prof au lycée de Nay. Quand nous avions fini la semaine, souvent le vendredi après les cours, nous allions nous promener sur « le chemin du petit canal ». Il y avait Nadja, ma sœur Chriss, souvent des copines, Jacqueline, Thérèse et leurs enfants, ou M Hélène, et... courant fièrement en tête de notre troupe joyeuse, notre chien Youp. Un petit terrier à poils durs, adopté au chenil de la SPA, assez mignon, que nous, nous trouvions irrésistible. De son enfance maltraitée, il avait gardé une cote visiblement cassée, un caractère courageux et agressif contre les plus gros que lui, et une affection sans bornes pour nous qui le lui rendions bien…
Le "chemin du petit canal" qui passait entre les champs de la plaine de Nay , était bordé d’un côté par un petit canal d’irrigation que surplombait la voie ferrée, et de l’autre par de belles prairies.

Souvent quand le train passait, le conducteur saluait d’un petit coup d’avertisseur notre groupe rieur…


De l’autre côté dans les champs, il y avait souvent des vaches , de belles blondes d’Aquitaine, gardées par le mince fil d’une clôture électrique…

Or il advint un jour que le petit Youp au lieu de filer droit et fier devant nous, s’arrêta au ras de la clôture à vaches et les héla d’un bref aboi. Et se produisit un fait totalement inhabituel et saisissant : tout le troupeau des vaches, se regroupant, accourut de tout le champ, se mit à galoper, droit sur la clôture…et nous !!

C’est alors que je me montrai héroïque, comme un bon petit prof face à sa troupe de garnements indisciplinés. Je m’avançai, déterminée, face à elles, la main tendue dans un geste dominateur d’apaisement, et m’écriai : « Eh bien ! Eh bien ! »

Le ton, je ne peux vous le décrire, sinon vous dire qu’il était plein d’autorité, sans colère, ni affolement, d’une dignité souveraine…



Et les vaches s’arrêtèrent net !!!

Le chien aussi !


Nous passâmes notre chemin, un peu raides , très dignes, chien calmé, filles se retenant de rigoler…jusqu’à ce que le champ fût dépassé… !

Et là bien sûr de rire, de rire, de moi, de nous, du chien, des vaches… nous ne nous en sommes pas privées ! Et de ce que c’est que l’Autorité !!!

Et l’autre soir encore, à bien des années de distance, mes petites, de mon "Eh bien Eh bien," elles ne s’en lassaient pas , me le faisant faire et refaire, et riant :


Oh ! Mamou…Mamou… Quelle Autorité ! LA VACHE !!!!

mercredi 17 novembre 2010

La frottée à l’ail




Quand j’étais enfant je raffolais des frottées à l’ail :
Dans une assiette on émondait l’ail finement en le grattant patiemment à la pointe d’une fourchette, on y ajoutait de l’huile d’olive et du sel, et on frottait une croûte de pain bien croustillante sur ce mélange…





Ma mère avait une amie très aimée (ma sœur et moi ,nous l’appelions La Chère Amie !) Elle était sa collègue, mais avait épousé le président du tribunal et avait donc été amenée à fréquenter la (petite) bourgeoisie de notre (petite)ville. Je ne sais si de cette fréquentation lui venait une espèce de distinction et de raffinement,par ailleurs sans ostentation , ou si c’était une disposition naturelle qu’avait accrue en lui conférant une sorte de fragilité une grave maladie de cœur…Elles se rendaient visite ma mère et elle, elles avaient « leur jour », ce qui nous faisait rigoler , avec peut-être un petit soupçon de jalousie de ce rapport dont nous étions en partie exclues …

Un chaud après midi, je me fis ma fameuse « frottée » sur les quatre heures sans songer que c’était le jour de la chère amie !
Quand on sonna, je me précipitai étourdiment pour ouvrir et m’arrêtai interdite…
La chère amie toute de blanc vêtue, souriante et chaleureuse comme à l’accoutumée, me prit aux épaules pour deux gros baisers affectueux.
J’étais suffoquée d’embarras… et elle par mon haleine.
Elle me regarda, renifla et éclata d’un rire généreux et communicatif puis s’écria avec une nette résurgence d’accent de son pays du Lot :
« La frottée ! la frottée à l’ail ! Dieu que c’était bon, quand je pouvais en manger… »

Publié par françou à l'adresse 08:51 Libellés : souvenir d'enfance

mardi 16 novembre 2010

Quand ma mère retournait...ses draps!

Ce matin en faisant le lit, je découvre un accroc d’usure en plein milieu du drap de dessous.

Michel me dit :
« Je l’avais vu hier en le faisant, j’aurais dû te prévenir tant qu’il était temps…
-Temps de quoi ? il est usé, je ne vais tout de même pas repriser les draps ! (= « tout de même », comprenez, même si c’est la crise, que notre revenu ne s’arrange pas..)On le lave, on le jette, non, on le découpe, c’est de la bonne toile…pour nettoyer les vitres !!!


C’est alors que je revois l’image de ma mère penchée comme nous sur un lit à faire, se mordillant la lèvre inférieure comme elle le faisait quand elle réfléchissait à un problème technique, de couture en particulier, et disant : « Je vais le retourner !!! »


Cette phrase me laissait alors perplexe, retourner ? Pour retrouver la même usure sur l’envers ?
Mais il ne s’agissait point du tout de mettre à l’envers. La recette était toute simple…et efficace :

Tailler le drap sur son milieu dans toute sa longueur.
Placer les 2 panneaux obtenus côtés au milieu, et centre sur les bords…
Coudre sur le milieu.
Ourler finement les bords (la partie usée) en essayant de conserver le maximun de la largeur…



Et voilà un drap qui fera encore de l’usage !!!!

En somme, retourner les draps, les cols de chemises, les poignets d’icelles, on le voit, n’a pas le même sens que retourner sa veste !!!.

Nous ne sommes guère plus riches que ne l’étaient mes parents, mais c’était un tout autre temps, un temps où on « ne jetait pas », on réparait, on ravaudait, on cousait …

Je trouve parfois en repassant, dans des nappes ou des jetés de table qui nous viennent de nos grands-mères, des reprises si fines qu’on croirait de fins damassés brodés Comme de délicates signatures des mémés disparues !!!

Il faut dire que mon industrieuse mère pouvait en revanche s’offrir le petit luxe de faire « venir » Coco , une lingère, pour « donner quelques points »….et l’aider dans ces travaux de couture…


Un tout autre temps en vérité !!!

jeudi 27 mai 2010

Le Lait de la Laitière

A Charlotte et Camille, souvenir d’un joyeux soir de « dortoir », cette "histoire pour s’endormir" ou plutôt, pour ne pas s’endormir

Je vous ai déjà parlé de la "villa Alice", où nous habitions….
-La « Cité Alice, non ?»
-Oui, Camille, tu as raison, la « cité Alice »…
Dans la rue…( est-ce que je vous ai dit qu’elle n’était pas goudronnée à l’époque ? large, mais bien caillouteuse ; j’y suis tombée plus tard avec mon vélo, je m’étais planté le frein dans le menton !)
Dans la rue donc, passaient tous les deux jours le marchand de glace, et tous les jours, la laitière.

Le marchand de glace, il ne vendait pas des glaces en cornet, il vendait des « pains »de glace..

Quelquefois, on en achetait pour rafraîchir les boissons, on les mettait dans une grande bassine en zinc avec la glace, et un sac de jute dessus, pour tenir le frais…
-Y avait pas de frigo ?
-Non même pas de glacière …
- C’est pareil ?
-Non Chacha, la glacière, c’était une petite armoire en bois, bien isolée. Dans laquelle on mettait pour rafraîchir, justement, des pains de glace qu’on achetait au marchand….quand on en a eu une, (que la Chère Amie de Mérotte nous avait donnée, parce qu’elle venait d’acquérir, elle, une merveille d’objet luxueux, un FRIGIDAIRE..) quand elle nous l’a donnée donc, ce fut événement !!!

Le marchand de glace, comme la laitière avait une carriole que tirait une mule ou un cheval ou un âne, ça je ne sais plus…
-Mais Mamou, tu n’es pas de l’âge de pierre quand même !!! (rires)
-Non, ma Charlotte, mais presque… !!! (rires encore) j’étais très petite , trois ou quatre ans , et c’était l’après guerre, il n’y avait pas encore beaucoup d’objets électriques , ni beaucoup d’objets « manufacturés » comme on disait, fallait le temps de se remettre de la guerre…Je vous raconterai un jour quand mon Payou a pu racheter une AUTOMOBILE !
Même le maçon qui habitait en face, un vrai, qui construisait des maisons, son camion c’était une voiture à âne. On l’entendait souvent braire l’âne de Bon….....

La laitière je pense qu’elle était assez jeune, mais à trois ans on ne se rend pas compte . Elle était toute ronde,souriante et volubile, avec des joues rebondies, des cheveux très bruns , avec une raie sur le milieu et un gros chignon , toujours une robe(ou un tablier) en satin noir . Elle apportait le lait dans de grands bidons. Elle en versait un litre dans la casserole de Mérotte. Il fallait vite le faire bouillir…avec l’anti monte lait…
- C’est quoi, l’anti…mon... ?
-"L'anti-monte-lait." Un petit disque en fer qu’on mettait dans la casserole, et qui vibrait quand le lait commençait à bouillir, on savait ainsi qu’il fallait arrêter le gaz avant que ça déborde…


Au même moment, habitait dans la maison à côté, de l’autre côté de chez Nani, Simone la lingère. J’aimais bien mes petits copains de la rue, mais j’aimais beaucoup les adultes, et j’adorais Simone. Elle brodait avec patience et délicatesse sur des tissus légers et fins en appuyant son pied sur un petit « banquett »…ça me remplissait d’admiration.
Bien plus tard que notre histoire, pour un Noël, elle a brodé une chemise pour mon poupon Roger…
-Notre Roger ?
-Oui, mais ces habits, je les ai perdus…

Souvent je disais "je m’en vais voir Simone"..., et je m’asseyais à ses pieds sur son petit « banquett » et nous bavardions, bavardions …

Et puis un jour Mérotte me dit : « Non, ne va pas voir Simone aujourd’hui, elle est fatiguée… »

Et cette fatigue dura, dura, et moi je m’ennuyais de Simone…

Jusqu'au jour où on m’appela : Simone était là, dans le fauteuil et elle tenait dans ses bras un tout petit Jean Paul, et chose merveilleuse et fascinante, elle lui donnait à téter un beau sein rond …et du lait coulait sur la petite lèvre du bébé…

Je rentrais bien troublée, songeuse, et tracassée par une question existentielle, que je finis après quelques temps par poser à ma mère :
Alors la laitière, son lait, elle doit en avoir beaucoup, beaucoup….pour tous ces gros …bidons… !!!
Ma mère, saisie, ne put s’empêcher d’éclater de rire de bon coeur, puis se retint un peu et redevint sérieuse pour ne pas me vexer :
-Mais non !!! La laitière, c’est du lait de vache dans les bidons !!!
-Ca !!! Alors !!! Du lait de vache, des vaches... LES VRAIES vaches ?

Alors y en a DES LAITS !!! …
Y a le lait de Simone, le lait de la laitière, le lait des vaches… !!!

L’infini de la connaissance s’ouvrait pour moi….



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mercredi 14 avril 2010

Voulez-vous danser Grand Père ?

Les parents de mon grand père avaient une petite métairie dans Le Marsacq, à Saint Jean. C’est un beau petit pays de coteaux entre Piémont Pyrénéen et Landes, vallonné, bocager, où la Lande avance encore quelques langues de sable où poussent les pins, mais où, pour le reste, le terre est assez grasse et fertile. Assez fertile pour qu’un petit métayage y permette de vivre convenablement, à condition de ne pas avoir trop d’enfants à nourrir…
C’est pourquoi mon grand -père, le cadet !!!, ayant très bien réussi à l’école (il avait obtenu très brillamment le « certificat ») s’exila du métier de la terre que pourtant il aimait fort et postula à « La Compagnie des Chemins de Fer du Midi » où il devint chef de train …
Contrôleur, jamais !!! : « Il aurait fallu « toucher sa casquette ! »
Que signifiait pour lui cette expression, donnée comme raison évidente de son refus d’un grade plus lucratif ? qu’il associait à cet emploi une condition de larbin , ou l’apparentait à une fonction policière, ou militaire ? Il fut un cheminot fier et militant, et le paya en 1936…
Nous n’en sommes pas là , lorsque encore tout jeune homme, il vivait à la métairie familiale et prêtait la main aux travaux des champs et au gemmage des pins. Car pour mieux vivre, les métayers se louaient aussi comme gemmeurs aux propriétaires de pins. Il fallait entailler les pins, recueillir la résine , et aller la ramasser et la livrer avec le bros, le petit chariot tiré par les mules, animaux doux, puissants et faciles …
Moi qui n’ai connu mon grand père qu’âgé, et peu alerte, quoique vigoureux et attaché au travail de la terre dont il gardait le regret, je m’interroge souvent sur ce qu’il était alors : un beau jeune homme aux grands yeux bruns, alerte, taillé en force, qui chantait …et adorait la danse….
A partir de juin tous les villages du coin ont leur fête patronale, et tous les dimanches d’été, mon « Lexou », ainsi l’appelions-nous, enfilait ses espadrilles noires, et filait d’un pied léger à St Vincent, à Saubusse , à Pey, à Orist…dix, quinze, vingt kilomètres pour aller danser !…Il partait en fin d’après midi , quand les bêtes étaient rentrées …
Et ne rentrait qu’au petit matin … !!!
Toute ma jeunesse, j’ai rêvé de faire de même, mais ma mère veillait, -je n’étais pas un garçon !-et j’ai rarement eu droit de dépasser deux heures du matin…
Il rentrait, le pied un peu moins leste, la tête un peu moins sûre, le trajet à pied aérait les vapeurs de la fête….
Et quand il arrivait, il trouvait devant la porte, le père et le bros..
De reproches point, on connaît la vie !!!
Le père disait : « Ah ! Hiho !! te voilà Jean Baptiste ! C’est bien ! C’est juste à temps : les mules sont prêtes ! Tu vas à X…… ! Tu fais le tour, tu ramasses les fûts ! A ce soir… »
Alors Jean Baptiste, de son deuxième prénom Alexis, grimpait dans le bros , étendait un ou deux sacs de jute sur le fond, et comme un bienheureux, s’y couchait, et dormait du sommeil du danseur heureux, bercé par le pas familier des mules ….Il a d’ailleurs toujours gardé cette faculté merveilleuse de s’endormir n’importe où, sur sa pèlerine, ou sa grosse couverture de travail…Heureux !
« Car vois-tu, enfant, les mules ce sont des animaux bien, hiho, très bien même, elles savent le chemin, elles avancent tranquilles, et s’arrêtent quand on est rendu. Quand elles s’arrêtent, tu te réveilles, pardi… ! Et c’est bien comme ça… »
Ce trajet sur la route toute droite entre les pins, de St Jean à St Vincent, dans le petit matin d’été, endormi au pas lent des mules, m’a toujours fait rêver…Pas vous ?


(Evidemment, faut-il le dire, depuis, je suis vraiment montée dans des bros. Balancée d’accord … mais malgré le sac de jute… ça mâche un peu le fondement !!!)

mardi 13 avril 2010

Le premier au fond du jardin !!!


Nous habitions à ce moment là une maison de quatre pièces, avec une cuisine en appentis, un puits , un vaste cellier, un jardin devant avec des buis et deux palmiers, genre "début de siècle" . Elle s’appelait « Cité Alice » en raison peut-être du fait qu’un deuxième appartement, plus modeste, totalement indépendant, s’adossait à son mur arrière…
Cette maison m’enchantait.
Ma mère aussi d’ailleurs, car en obtenir la location fut une aubaine : c’était encore l’après guerre et trouver une location, en dépit du fait qu’on avait des enfants « qui dégradent toujours, Madame », et malgré le fait « bien sûr, bien sûr.. »qu’on était fonctionnaire , relevait du parcours d’obstacles, de la négociation obstinée, ; bref, nous pûmes louer « Cité Alice » à des propriétaires charmants, qui ne mirent comme condition que de garder la jouissance de leur potager.
Celui-ci était un vaste terrain très sablonneux tout en longueur, partagé par une longue allée rectiligne qui conduisait à un portail vert, toujours fermé d’ailleurs ..
A condition de ne pas nuire aux platebandes, l’accès en était autorisé…
La grande allée était donc notre terrain de jeu favori.
La petite troupe d’enfants de la « cité » et du quartier était répartie sur deux tranches d’âge : les grands, nés avant la guerre, et les petits dont j’étais, fruits de la fin de la guerre…
En ces temps de peu de jouets, dès qu’il faisait beau, les jeux de la rue, trappe-trappe, ballon prisonnier, vélos,... occupaient toutes nos fins d’après midi, et se jouaient tantôt entre petits, tantôt grands et petits réunis…
L’un des plus excitants, et des plus irritants, était : « Le premier au fond du jardin !!! » . Mal défini, vous comprendrez pourquoi, il consistait à démarrer au signal à l’entrée de la grande allée pour courir de toutes ses forces jusqu’au portail vert, sur lequel on venait littéralement d’écraser en riant ou râlant !!!
Naturellement lieu de la toute puissance des grands, il consacrait inéluctablement leur victoire, le seul enjeu étant d' être le premier des grands ou le moins dernier des petits !!!
Or, comme dans la fable, il advint une fois que les tortues, s’évertuant, démarrant en trombe, donnant tout de leur souffle et de leurs gambettes, parvinrent à battre les lièvres, et à atteindre en premier le portail.
Et là se retournant, radieux d’une victoire si chèrement gagnée, les premiers, dont j’étais, entendirent cette chose inouïe, scandaleuse, ironiquement et (à notre insu) éminemment biblique!!! :
« Aujourd’hui, changement de la règle !!!…Le premier au fond du jardin ce sera le dernier !!! »
Bien entendu cette injustice, cette insolence arbitraire, si elle nous indigna longtemps, ne nous empêcha nullement de continuer à nous accrocher aux baskets des grands, et à tenter encore et encore d’être « les premiers au fond du jardin » !!!

J’ai souvent pensé à ce souvenir lorsque je fréquentais les écoles, leurs enfants, les « maîtres », les réunions des parents….
J’y pense aussi en écoutant vivre mes petites filles
J’y pense comme au symbole de la toute puissance des grands, puis des adultes, sur les enfants ; et parfois l’étendue de ce pouvoir m’angoisse vaguement, tandis qu’il me semble comprendre les colères, les rages, les révoltes impuissantes des petits se heurtant à l’évidence que le pouvoir de juger, de décider ne leur appartient pas…

Souvent bien sûr, il n’appartient pas non plus aux grands, mais les enfants ne le savent pas….

dimanche 7 février 2010

Ma mère et la traversée du petit bois


Elle était alors une très jeune femme, une jeune mère peut-être, je ne sais pas…
Mon père et elle habitaient Bordeaux , lui finissait ses études à la fac, elle était institutrice suppléante dans la campagne girondine , à Castillon , je crois. Elle disposait d’un petit appartement de fonction au premier étage de l’école.
Mais bien sûr, le dimanche et le jeudi elle se hâtait de rentrer voir mon père (et peut-être ma sœur aînée, son bébé, était –elle déjà née… ?)
Et pour gagner un peu de temps, elle ne repartait pour son école que le lundi et le vendredi matins, très tôt donc . Elle prenait son vélo, qu’elle « mettait au train », puis le train, qui la déposait à une quinzaine de kilomètres de son village.
Ce n’était pas très loin, mais il y avait une sacrée petite côte à monter, et surtout cette côte était la traversée d’un petit bois de pins bien serrés…
Aux beaux jours, c’était peut-être un plaisir de pédaler dans la fraîcheur du matin , l’odeur de la résine et du sous bois de fougères et de bruyères, en fait , je n’en sais rein, elle ne nous en a jamais parlé.
Mais ce qu’elle nous a maintes fois raconté, c’étaient les matins d’hiver.
Du froid, elle n’en parlait pas, ce dont elle parlait toujours, c’était de la traversée entre chien et loup, quand le jour n’était pas encore levé, que le trajet se faisait dans le clair obscur , et qu’elle n’en menait pas large…
Or il advint qu’un de ces matins, je dirais un vendredi,vous comprendrez pourquoi, alors qu’elle abordait la côte de toute son énergie, le bruit d’un pas sonore assez loin derrière elle lui fit battre le coeur et accélérer son pédalage.
Elle pédalait, elle pédalait, les pas résonnaient, résonnaient, à distance certes, mais de plus en plus proches toutefois …
Et elle, de pédaler de toutes ses forces…
L’école enfin apparut au bout de sa route ; elle s’ y jeta, ouvrant fiévreusement la classe , s’y précipitant comme en un abri familier…
Et elle vit alors apparaître au portail , criant jovialement et paternellement,… le marchand de poisson ambulant, avec sa petite charrette et ses « royans »…(1)
« -Eh bé, ma petite, vous êtes jeune…. ! et puis à pied, j’ai eu du mal, avec ma charrette !!!
"Je vous ai vu descendre du train, et je me suis dit , pauvrotte, il fait bien nuit, je vais lui faire un bout de chemin, au moins pour le bois…ce sera mieux, on se fera un peu de causette… »

Et tous deux se regardaient , essoufflés , rouges de l’effort et du froid matinal, ils se mirent, comme disait ma mère, « à rire… mais à rire… !!! »:
« -Pour un bout de chemin, ça c’était un chemin, un sacré chemin… !!! »
Ils se firent un bout de causette, puis il partit vendre ses sardines, riant toujours, en disant que ce n’était que partie remise, et que le bout de conduite il le lui ferait …le vendredi suivant…

(1)Le cri de tels poissonniers :« meees roooyans, mes joolis rooooyans » résonnait dans les rues de ma petite enfance à Bordeaux. Ma grand mère descendait souvent en acheter, parce que mon grand père les aimait bien, ces royans, avec des haricots !!!