Charlotte, Camille, et moi, et quelquefois notre Nadja, un des grands plaisirs que nous partageons, c’est le câlin du soir. Souvent on lit des livres qu’on « feuilletonne » Mais parfois, pas de lecture : « On va parler… » disent les deux filles …Blagues, histoires de leur école, (leurs spécialités) histoires de mon enfance ou de ma jeunesse (ma spécialité !) . L’autre soir, comme je leur disais : « Mais je n’en ai plus des histoires de quand j’allais à l’école », elles eurent une réponse sans réplique: "Mais des histoires de quand tu étais prof, tu en as bien ?"
J’en avais en effet, et je vais vous en raconter une…
J’étais jeune prof au lycée de Nay. Quand nous avions fini la semaine, souvent le vendredi après les cours, nous allions nous promener sur « le chemin du petit canal ». Il y avait Nadja, ma sœur Chriss, souvent des copines, Jacqueline, Thérèse et leurs enfants, ou M Hélène, et... courant fièrement en tête de notre troupe joyeuse, notre chien Youp. Un petit terrier à poils durs, adopté au chenil de la SPA, assez mignon, que nous, nous trouvions irrésistible. De son enfance maltraitée, il avait gardé une cote visiblement cassée, un caractère courageux et agressif contre les plus gros que lui, et une affection sans bornes pour nous qui le lui rendions bien…
Le "chemin du petit canal" qui passait entre les champs de la plaine de Nay , était bordé d’un côté par un petit canal d’irrigation que surplombait la voie ferrée, et de l’autre par de belles prairies.
Souvent quand le train passait, le conducteur saluait d’un petit coup d’avertisseur notre groupe rieur…
De l’autre côté dans les champs, il y avait souvent des vaches , de belles blondes d’Aquitaine, gardées par le mince fil d’une clôture électrique…
Or il advint un jour que le petit Youp au lieu de filer droit et fier devant nous, s’arrêta au ras de la clôture à vaches et les héla d’un bref aboi. Et se produisit un fait totalement inhabituel et saisissant : tout le troupeau des vaches, se regroupant, accourut de tout le champ, se mit à galoper, droit sur la clôture…et nous !!
C’est alors que je me montrai héroïque, comme un bon petit prof face à sa troupe de garnements indisciplinés. Je m’avançai, déterminée, face à elles, la main tendue dans un geste dominateur d’apaisement, et m’écriai : « Eh bien ! Eh bien ! »
Le ton, je ne peux vous le décrire, sinon vous dire qu’il était plein d’autorité, sans colère, ni affolement, d’une dignité souveraine…
Et les vaches s’arrêtèrent net !!!
Le chien aussi !
Nous passâmes notre chemin, un peu raides , très dignes, chien calmé, filles se retenant de rigoler…jusqu’à ce que le champ fût dépassé… !
Et là bien sûr de rire, de rire, de moi, de nous, du chien, des vaches… nous ne nous en sommes pas privées ! Et de ce que c’est que l’Autorité !!!
Et l’autre soir encore, à bien des années de distance, mes petites, de mon "Eh bien Eh bien," elles ne s’en lassaient pas , me le faisant faire et refaire, et riant :
Oh ! Mamou…Mamou… Quelle Autorité ! LA VACHE !!!!