dimanche 7 février 2010

Ma mère et la traversée du petit bois


Elle était alors une très jeune femme, une jeune mère peut-être, je ne sais pas…
Mon père et elle habitaient Bordeaux , lui finissait ses études à la fac, elle était institutrice suppléante dans la campagne girondine , à Castillon , je crois. Elle disposait d’un petit appartement de fonction au premier étage de l’école.
Mais bien sûr, le dimanche et le jeudi elle se hâtait de rentrer voir mon père (et peut-être ma sœur aînée, son bébé, était –elle déjà née… ?)
Et pour gagner un peu de temps, elle ne repartait pour son école que le lundi et le vendredi matins, très tôt donc . Elle prenait son vélo, qu’elle « mettait au train », puis le train, qui la déposait à une quinzaine de kilomètres de son village.
Ce n’était pas très loin, mais il y avait une sacrée petite côte à monter, et surtout cette côte était la traversée d’un petit bois de pins bien serrés…
Aux beaux jours, c’était peut-être un plaisir de pédaler dans la fraîcheur du matin , l’odeur de la résine et du sous bois de fougères et de bruyères, en fait , je n’en sais rein, elle ne nous en a jamais parlé.
Mais ce qu’elle nous a maintes fois raconté, c’étaient les matins d’hiver.
Du froid, elle n’en parlait pas, ce dont elle parlait toujours, c’était de la traversée entre chien et loup, quand le jour n’était pas encore levé, que le trajet se faisait dans le clair obscur , et qu’elle n’en menait pas large…
Or il advint qu’un de ces matins, je dirais un vendredi,vous comprendrez pourquoi, alors qu’elle abordait la côte de toute son énergie, le bruit d’un pas sonore assez loin derrière elle lui fit battre le coeur et accélérer son pédalage.
Elle pédalait, elle pédalait, les pas résonnaient, résonnaient, à distance certes, mais de plus en plus proches toutefois …
Et elle, de pédaler de toutes ses forces…
L’école enfin apparut au bout de sa route ; elle s’ y jeta, ouvrant fiévreusement la classe , s’y précipitant comme en un abri familier…
Et elle vit alors apparaître au portail , criant jovialement et paternellement,… le marchand de poisson ambulant, avec sa petite charrette et ses « royans »…(1)
« -Eh bé, ma petite, vous êtes jeune…. ! et puis à pied, j’ai eu du mal, avec ma charrette !!!
"Je vous ai vu descendre du train, et je me suis dit , pauvrotte, il fait bien nuit, je vais lui faire un bout de chemin, au moins pour le bois…ce sera mieux, on se fera un peu de causette… »

Et tous deux se regardaient , essoufflés , rouges de l’effort et du froid matinal, ils se mirent, comme disait ma mère, « à rire… mais à rire… !!! »:
« -Pour un bout de chemin, ça c’était un chemin, un sacré chemin… !!! »
Ils se firent un bout de causette, puis il partit vendre ses sardines, riant toujours, en disant que ce n’était que partie remise, et que le bout de conduite il le lui ferait …le vendredi suivant…

(1)Le cri de tels poissonniers :« meees roooyans, mes joolis rooooyans » résonnait dans les rues de ma petite enfance à Bordeaux. Ma grand mère descendait souvent en acheter, parce que mon grand père les aimait bien, ces royans, avec des haricots !!!