mercredi 14 avril 2010

Voulez-vous danser Grand Père ?

Les parents de mon grand père avaient une petite métairie dans Le Marsacq, à Saint Jean. C’est un beau petit pays de coteaux entre Piémont Pyrénéen et Landes, vallonné, bocager, où la Lande avance encore quelques langues de sable où poussent les pins, mais où, pour le reste, le terre est assez grasse et fertile. Assez fertile pour qu’un petit métayage y permette de vivre convenablement, à condition de ne pas avoir trop d’enfants à nourrir…
C’est pourquoi mon grand -père, le cadet !!!, ayant très bien réussi à l’école (il avait obtenu très brillamment le « certificat ») s’exila du métier de la terre que pourtant il aimait fort et postula à « La Compagnie des Chemins de Fer du Midi » où il devint chef de train …
Contrôleur, jamais !!! : « Il aurait fallu « toucher sa casquette ! »
Que signifiait pour lui cette expression, donnée comme raison évidente de son refus d’un grade plus lucratif ? qu’il associait à cet emploi une condition de larbin , ou l’apparentait à une fonction policière, ou militaire ? Il fut un cheminot fier et militant, et le paya en 1936…
Nous n’en sommes pas là , lorsque encore tout jeune homme, il vivait à la métairie familiale et prêtait la main aux travaux des champs et au gemmage des pins. Car pour mieux vivre, les métayers se louaient aussi comme gemmeurs aux propriétaires de pins. Il fallait entailler les pins, recueillir la résine , et aller la ramasser et la livrer avec le bros, le petit chariot tiré par les mules, animaux doux, puissants et faciles …
Moi qui n’ai connu mon grand père qu’âgé, et peu alerte, quoique vigoureux et attaché au travail de la terre dont il gardait le regret, je m’interroge souvent sur ce qu’il était alors : un beau jeune homme aux grands yeux bruns, alerte, taillé en force, qui chantait …et adorait la danse….
A partir de juin tous les villages du coin ont leur fête patronale, et tous les dimanches d’été, mon « Lexou », ainsi l’appelions-nous, enfilait ses espadrilles noires, et filait d’un pied léger à St Vincent, à Saubusse , à Pey, à Orist…dix, quinze, vingt kilomètres pour aller danser !…Il partait en fin d’après midi , quand les bêtes étaient rentrées …
Et ne rentrait qu’au petit matin … !!!
Toute ma jeunesse, j’ai rêvé de faire de même, mais ma mère veillait, -je n’étais pas un garçon !-et j’ai rarement eu droit de dépasser deux heures du matin…
Il rentrait, le pied un peu moins leste, la tête un peu moins sûre, le trajet à pied aérait les vapeurs de la fête….
Et quand il arrivait, il trouvait devant la porte, le père et le bros..
De reproches point, on connaît la vie !!!
Le père disait : « Ah ! Hiho !! te voilà Jean Baptiste ! C’est bien ! C’est juste à temps : les mules sont prêtes ! Tu vas à X…… ! Tu fais le tour, tu ramasses les fûts ! A ce soir… »
Alors Jean Baptiste, de son deuxième prénom Alexis, grimpait dans le bros , étendait un ou deux sacs de jute sur le fond, et comme un bienheureux, s’y couchait, et dormait du sommeil du danseur heureux, bercé par le pas familier des mules ….Il a d’ailleurs toujours gardé cette faculté merveilleuse de s’endormir n’importe où, sur sa pèlerine, ou sa grosse couverture de travail…Heureux !
« Car vois-tu, enfant, les mules ce sont des animaux bien, hiho, très bien même, elles savent le chemin, elles avancent tranquilles, et s’arrêtent quand on est rendu. Quand elles s’arrêtent, tu te réveilles, pardi… ! Et c’est bien comme ça… »
Ce trajet sur la route toute droite entre les pins, de St Jean à St Vincent, dans le petit matin d’été, endormi au pas lent des mules, m’a toujours fait rêver…Pas vous ?


(Evidemment, faut-il le dire, depuis, je suis vraiment montée dans des bros. Balancée d’accord … mais malgré le sac de jute… ça mâche un peu le fondement !!!)

mardi 13 avril 2010

Le premier au fond du jardin !!!


Nous habitions à ce moment là une maison de quatre pièces, avec une cuisine en appentis, un puits , un vaste cellier, un jardin devant avec des buis et deux palmiers, genre "début de siècle" . Elle s’appelait « Cité Alice » en raison peut-être du fait qu’un deuxième appartement, plus modeste, totalement indépendant, s’adossait à son mur arrière…
Cette maison m’enchantait.
Ma mère aussi d’ailleurs, car en obtenir la location fut une aubaine : c’était encore l’après guerre et trouver une location, en dépit du fait qu’on avait des enfants « qui dégradent toujours, Madame », et malgré le fait « bien sûr, bien sûr.. »qu’on était fonctionnaire , relevait du parcours d’obstacles, de la négociation obstinée, ; bref, nous pûmes louer « Cité Alice » à des propriétaires charmants, qui ne mirent comme condition que de garder la jouissance de leur potager.
Celui-ci était un vaste terrain très sablonneux tout en longueur, partagé par une longue allée rectiligne qui conduisait à un portail vert, toujours fermé d’ailleurs ..
A condition de ne pas nuire aux platebandes, l’accès en était autorisé…
La grande allée était donc notre terrain de jeu favori.
La petite troupe d’enfants de la « cité » et du quartier était répartie sur deux tranches d’âge : les grands, nés avant la guerre, et les petits dont j’étais, fruits de la fin de la guerre…
En ces temps de peu de jouets, dès qu’il faisait beau, les jeux de la rue, trappe-trappe, ballon prisonnier, vélos,... occupaient toutes nos fins d’après midi, et se jouaient tantôt entre petits, tantôt grands et petits réunis…
L’un des plus excitants, et des plus irritants, était : « Le premier au fond du jardin !!! » . Mal défini, vous comprendrez pourquoi, il consistait à démarrer au signal à l’entrée de la grande allée pour courir de toutes ses forces jusqu’au portail vert, sur lequel on venait littéralement d’écraser en riant ou râlant !!!
Naturellement lieu de la toute puissance des grands, il consacrait inéluctablement leur victoire, le seul enjeu étant d' être le premier des grands ou le moins dernier des petits !!!
Or, comme dans la fable, il advint une fois que les tortues, s’évertuant, démarrant en trombe, donnant tout de leur souffle et de leurs gambettes, parvinrent à battre les lièvres, et à atteindre en premier le portail.
Et là se retournant, radieux d’une victoire si chèrement gagnée, les premiers, dont j’étais, entendirent cette chose inouïe, scandaleuse, ironiquement et (à notre insu) éminemment biblique!!! :
« Aujourd’hui, changement de la règle !!!…Le premier au fond du jardin ce sera le dernier !!! »
Bien entendu cette injustice, cette insolence arbitraire, si elle nous indigna longtemps, ne nous empêcha nullement de continuer à nous accrocher aux baskets des grands, et à tenter encore et encore d’être « les premiers au fond du jardin » !!!

J’ai souvent pensé à ce souvenir lorsque je fréquentais les écoles, leurs enfants, les « maîtres », les réunions des parents….
J’y pense aussi en écoutant vivre mes petites filles
J’y pense comme au symbole de la toute puissance des grands, puis des adultes, sur les enfants ; et parfois l’étendue de ce pouvoir m’angoisse vaguement, tandis qu’il me semble comprendre les colères, les rages, les révoltes impuissantes des petits se heurtant à l’évidence que le pouvoir de juger, de décider ne leur appartient pas…

Souvent bien sûr, il n’appartient pas non plus aux grands, mais les enfants ne le savent pas….