mercredi 29 avril 2009

ma mère , institutrice publique

Mon père et ma mère s’étaient rencontrés dans le grand amphi de la faculté des lettres où Ils commençaient leur licence d’histoire… « Le petit frisé » et la « belle brune » tombèrent amoureux au premier regard, et le restèrent d’ailleurs jusqu’à leur mort. Après avoir patienté je ne sais quel temps de fiançailles, ils se marièrent à l’église Sainte Croix.
C’est alors que pour pouvoir vivre indépendants, ils choisirent, mon père de continuer ses études (plus tard il demandera un poste de « répétiteur ») ma mère de devenir institutrice suppléante, « institutrice publique », (tel était le titre officiel, qui froissait la pudibonderie de ma mère par les connotations qu’il induisait !!!)
Je ne sais pas si ce travail fut librement choisi ou imposé par la nécessité mais quoiqu’elle ait dû pour ce faire abandonner ses études universitaires, qui représentaient pour elle, fille de cheminot et de cousette d’espadrilles, un grand pas d’ascension sociale et d’accès à la culture, elle s’y engagea passionnément, avec sa générosité personnelle, les valeurs républicaines de ses parents, et une foi profonde dans les vertus libératrices de l’éducation.
Elle fut nommée dans des villages girondins qui portent tous des noms fabuleux de grands crus. J’ai gardé comme un livre d’images de sa vie d’institutrice…
Il y a par exemple le « choix épineux » des chants de Noël. Elle chantait bien, d’un beau soprano clair et rond, elle aimait faire chanter les enfants. Sans culture musicale, elle avait un goût très sûr pour ce qui est « beau ». Bref elle nous expliqua souvent la difficulté de choisir un chant de Noël « qui ne soit pas ordinaire et qui ne parlât pas du petit Jésus ». C'est que, un peu « anticléricale » elle-même, elle subissait aussi les pressions de ses inspecteurs de la « laïque » : grâce à quoi les élèves eurent droit à « Mon beau sapin » et à quelques noëls rares qui ont enchanté nos propres noëls : les premières strophes (avant jésus christ !) du très beau :
« Rose et bleu couleurs du ciel, c’est le soir des belles choses
Rose et bleu couleurs du ciel c’est Noël, Noël, Noël, Noël …
»
Sans doute par la suite s’affranchit-elle en partie de cette censure, ou bien de la soumission hiérarchique, et les enfants eurent alors droit de chanter, et nous aussi plus tard ,
« Entre le boeuf et l’âne gris dort, dort, dort le petit fils
Mille anges divins mille séraphins volent à l’entour de ce grand dieu d’amour »

Les Séraphins dont j’ignorais tout, me charmaient particulièrement, et me charment encore.
Passionnée d’éducation et de rationalité, elle eut des rapports orageux, des inimitiés farouches, des conflits de pouvoirs, mais aussi des réconciliations et des complicités chaleureuses avec les curés de ses paroisses…

Les pères viticulteurs lui donnèrent aussi bien du fil à retordre : leurs grands fils de 10 voire de 12 ou 13 ans leur faisaient défaut au moment des vendanges qui, les belles années, débordaient encore les dates de la rentrée (pourtant retardée dans ces pays de vignobles). Elle devait alors aller chercher les enfants dans les propriétés pour les ramener en classe. Sa jeunesse, sa beauté, sa conviction passionnée, lui assurèrent souvent la victoire auprès de ces parents viticulteurs et aussi des amitiés durables. Bien longtemps après, nous avons rencontré de solides gaillards dans la force de l’âge, qui furent « ses certificats d’étude », et nous en remercièrent. Nous tenons d’eux encore de précieuses bouteilles au liquide doré qui furent un témoignage de leur gratitude.
Mais ces grands élèves de la classe de fin d’étude, ne furent pas toujours des motivés du « certif ».
L’un d’entre eux, batailleur, insolent, dissipé, grand et fort comme un homme, lui donna un jour tellement de mal, qu’excédée, du haut de sa petite taille, elle fit autorité, et le mit en pénitence à la cave de l’école…
Libérée de sa tonitruante présence, la journée se passa idéalement bien, si bien même que ma mère l’oublia totalement …jusqu’à l’heure de la sortie…elle courut à la cave et le découvrit, joyeux, mais calme, totalement saoul…et le raccompagna chez lui, assommée de confusion, craignant pour elle une réprobation largement méritée, et pour lui de vertes remontrances : ils reçurent tous deux un accueil digne, solennel et muet et, soulagée mais dubitative, elle s’en retourna à l’école. Plus jamais ils n’en parlèrent, plus jamais il ne chahuta…In vino veritas !

1 commentaire:

  1. Bien joli blog, que j'ai découvert en passant par "Aimez-vous Galliano...". Je repasserai certainement. À bientôt.

    RépondreSupprimer