Nous étions à table le soir.
La salle à manger était carrée avec une grande cheminée où brûlait toute la journée de grands feux de bois de pin ; mon père les allumait avec des « gemmelles », ces entailles de troncs de pins que faisaient les gemmeurs afin de récolter la résine, que nous allions ramasser dans la forêt avant l’hiver dans des sacs en toile de jute. Avec les gemmelles, le feu s’enflammait facilement, clair, vif et jaune, il fallait ajouter progressivement le « petit bois » (des petites bûches), des moyennes pour entretenir, des grosses pour maintenir. Ces feux de pin flambaient et pétaient sec, et nous en aimions le bruit et l’odeur de résine.
Ce soir là donc il y avait des haricots blancs que ma mère réussissait particulièrement : pas de carottes, de la tomate, peu, une seule bien mûre laissée entière pour qu’elle se défasse en cuisant, un oignon, de l’ail, et une belle couenne de porc, pas grasse mais bien gélatineuse. Ils étaient toujours à point, pas écrasés, mais assez cuits pour être fondants, et en général nous les trouvions délicieux…mais ce soir là je restais figée au dessus de mon assiette :
--Mange ma chérie, dit mon père, ils sont pas bons les « mongettes » de Mérotte ?
-- Ils sont sales, y a des vers dedans…
-- Des vers ? Mais non ma chérie, ce sont les petits germes, mange…
--C’est quoi des germes ?
Je regardais ces petites choses roses accrochées à chaque grain, imaginant qu’elles allaient s’agiter, se tordre, se tortiller…Pouah, trois fois Pouah !!!
-- Les germes c’est…c’est ce qui fait que les haricots repousseraient …si on ne les mangeait pas avant,si on les plantait, la première pousse, quoi…Mange, c’est pas sale ce sont les germes…
-- C’est sale.
--Non, mange ma chérie, mange maintenant.
Quand même, le ton montait, le ma chérie avait perdu de sa douceur…
--J’peux pas ! C’est sale !
Alors on vit mon père si soigneux, si raffiné, se pencher sur mon assiette et …cracher dedans !
Après quoi, mi colère mi souriant, il s’écria triomphant :
--MAINTENANT… C’est SALE !!! MANGE ! MANGE ! MANGE !
vendredi 27 février 2009
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